BLAISE
Le père de Blaise, Antonio était né en Italie a Lauria au sud de Naples vers 1844. il vivait en concubinage avec une femme de bonne famille avec laquelle il a eu 9 enfants, il les a tous reconnus. Il était ferblantier. A 60 ans il a abandonné cette femme pour épouser une jeune de 27 ans. Ces fils l’attendaient à la sortie de la mairie avec un revolver. Evidemment il ne s’était pas présenté ce jour là devant le maire, mais il avait réussi à se marier quelques jours plus tard .
On ne savait pas s’il avait fui son pays natal parce qu’il avait fait une grosse bêtise, s’il crevait de faim, s’il refusait d’être enrôlé dans l’armée italienne ou s’il cherchait l’aventure. Il s’était arrangé pour ne laisser aucune trace derrière lui. Il resta Italien jusqu’à sa mort. Peut être voulait-il faire fortune et rentrer au pays.
Pour Blaise, l'un de ses fils, l’objectif était de devenir propriétaire et vivre de ses rentes. Pour cela il faisait du commerce comme commis voyageur, puis se mit à son compte.
Il a eu la chance d’épouser une femme qui gagna à la loterie. Il a acheté une quincaillerie . Son affaire fonctionnait parfaitement, il approvisionnait tout les agriculteurs de la région. En 1921, il avait le téléphone et une Ford.
Blaise, adolescent, appartenait à tout ce petit peuple, pauvre et travailleur , s’efforçant de sortir de leur état précaire. Ces petits gens travaillaient la terre le plus souvent chez des métayers, des propriétaires, des commerçants ou chez des artisans. On les appelait des « journaliers » . Devenir propriétaire était le paradis, mais tout le monde n’y arrivait pas.
En 1919 il a perdu un fils de 20 ans, tué par la grippe espagnole. Blaise a été très déstabilisé par cette mort et son esprit a commencé à dérailler, il a abandonné la quincaillerie et s’est réfugié dans son monde imaginaire.
Blaise n’était pas un bel homme, il avait un strabisme important, c’était un homme intelligent , il savait lire et écrire, roublard, hypocondriaque, radin, dévot.
Il avait mis au point une technique très sophistiquée pour éviter les désagréments, les soucis, il entrait en contact directement avec Dieu et là miracle, il n’avait plus de problèmes, pas besoin d’antidépresseurs.
On pouvait le surprendre seul chez lui en monologue avec Dieu sur son trône, car il avait une vessie faible et des hémorroïdes gênantes, souvent on pouvait l’entendre chanter les derniers tubes de la radio. La grande attraction était de le voir jouer aux cartes avec ses amis. L'été vers 13h, à l'automne de sa vie, de la fenêtre de sa maison, il sifflait plusieurs fois en direction de sa famille qui se baignait sur la plage de Bouisseville 100 mètres plus bas. Tout le monde savait qu'il était l'heure du premier service.
Vers 14h un dernier appel, une cloche carillonnait; c'était le signal du voisin, la maison au dessus.
Sidi Bel Abbès, puis Bouisseville (1869-1953)
ROQUES.

Roques était né de parents espagnols, il avait choisi de se faire naturaliser français et en 1914 il partit se battre contre les allemands.
Roques a commencé à travailler à 9 ans comme bourrelier, ses parents avaient une auberge et des chevaux pour les diligences. A la mort de son père, ils ont tout vendu .
Il a changé d’activité : tonnelier, métier à la mode en ce temps là. Il est devenu patron dans cette branche. A son retour de la guerre en 1918 , on lui avait tout volé dans l’atelier. Il avait été gazé en donnant son masque à gaz à un jeune de 20 ans qui avait égaré le sien et pleurait, lui avait 30 ans.
Il redémarra une entreprise de tonnellerie, malheureusement il acheta sans le savoir des douelles volées et fut obligé de tout vendre pour payer les avocats et éviter la prison.
Roques était un bel homme, intelligent, il savait lire et écrire.
C’était un travailleur manuel et il termina sa vie dans la pauvreté en faisant des petits travaux par exemple construire des caisses en bois (il n'y avait pas de SS, ni de retraites à cette époque). En 1943, on aurait pu le voir, avec son petit fils de 5 ans le long de la voie ferrée, ramasser des morceaux de charbon que le conducteur de locomotive balançait sur le coté de la voie pour les pauvres gens de la cité.
Roques fréquentait des ouvriers, des journaliers, des petits gens. Pendant les périodes ou il avait de l’argent, il n’hésitait pas à le dépenser avec ses amis pour faire la fête ou à s’habiller élégamment, une personne généreuse à l’âme noble, un vrai hidalgo.
Il n’entrait jamais dans une église, il restait à l’extérieur avec ses amis anticléricaux.
Une fois par an, il se déguisait en clochard et allait dans la rue à la rencontre des gens civilisés.
Pas rasé avec un chapeau à large bord pour la pêche, une blouse grise déchirée, un pantalon gris retroussé sur une jambe , une musette en bandoulière, des espadrilles déchirées, un bâton dans la main droite et un chiot dans le bras gauche avec un sourire narquois, il ne passait pas inaperçu .
Pourquoi choisir les attributs de Saint Roch ? D’abord son prénom Roques le prédestinait à ce travesti, il devait connaître l’histoire de ce Saint Roc qui avait quitté vers 1300 l’aisance de sa famille et distribué tous ses biens aux pauvres. Comme tout pèlerin de cette époque Saint Roc avait rencontré sur son chemin la peste. Il avait soigné les pestiférés avant d’être atteint à son tour par la maladie, son chien lui apportant la nourriture.
Pour Roques, c’était sa façon toute particulière de quitter le monde de l’hypocrisie, de la méchanceté et de l’injustice.
Oran, Victor Hugo ( 1885-1947)
L’Institutrice.

Elle était née à Port Lyautey (actuellement Kénitra) au Maroc d’une mère, née PASTOR et d’un père d’origine basque. Elle était la petite dernière d’une fratrie de six enfants. A la mort de son père, métayer, elle avait 10 ans.
Sa mère et les quatres derniers enfants survivaient dans une grande pauvreté.
Les deux sœurs aînées avec courage prirent en charge la famille et elle devint institutrice à 19 ans grâce à elles.
Dans sa première classe du cours préparatoire, elle avait 39 petites musulmanes.
A la fin de l’année scolaire, les petites savaient toutes lire, écrire et compter. A cette époque la méthode pédagogique d ’enseignement n’avait rien avoir avec celle que nous connaissons en ce début du XXIème siècle. Arriver à de tels résultats avec des enfants d’un milieu aussi défavorisé aurait pu relever de l’exploit. Il n’en était rien, tous les autres enseignants obtenaient des résultats comparables. Les Ecoles Normales d’Instituteurs (ices) avaient mis au point une pédagogie spécifique où la répétition, le par cœur, la rigueur et la méthode de lecture syllabique en étaient les bases.
La pratique d’une discipline stricte était inutile car les enfants étaient très attentifs et respectueux de leurs maîtresses.
Elle évitait de convoquer le père d’une de ses élèves à cause de la mauvaise tenue de son cahier, car elle savait par expérience que le père non seulement donnerait raison à la maîtresse, mais devant toute la classe aurait battu son enfant. Autre lieu, autre époque.
Quatre ans plus tard, la belle institutrice se maria le 30 juillet 1962 à Aïn-el-turck avec un autre instituteur, son prince charmant dans la précipitation devant un avenir incertain.
Saint Denis du Sig 1958
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